Selon les données de l’Union internationale des télécommunications (UIT) , « moins de 30 % des professionnels des STIM (sciences, technologies, ingénierie et mathématiques) sont des femmes ». Ce pourcentage nous montre que mondialement parlant on assiste à une faible inclusion des femmes dans le secteur du numérique. Cette illustration est visible en Afrique de l’Ouest, notamment au Burkina Faso.
Source: Burkina Faso Digital 2023 : rapport sur le digital et les médias sociaux au Burkina pour 2022
Ce fossé ne se limite pas à un simple déséquilibre d’accès, mais constitue un frein systémique au développement économique et social. Il est le produit de barrières historiques, culturelles et structurelles qui se renforcent mutuellement, limitant le potentiel de plus de la moitié de la population, les femmes.
Cet article se propose de décrypter l’anatomie de cette fracture numérique, d’en analyser les fondations socio-économiques et culturelles, et de mettre en lumière les efforts de résilience et les pistes d’action qui pourraient permettre au Burkina Faso de libérer pleinement le potentiel de son capital humain.
Analyse et état des lieux : des données révélatrices
L’écart d’accès et d’utilisation : le miroir déformant du digital
L’analyse des statistiques d’accès et d’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) au Burkina Faso révèle une disparité de genre alarmante. Les femmes sont largement sous-représentées dans la sphère numérique, ce qui se reflète dans les taux d’utilisation d’internet et des médias sociaux.
Le pourcentage de femmes en matière d’utilisation de médias sociaux reste faible comparativement à l’homme.
Source : Digital Magazine Burkina, NapoleonCat (statistique juillet 2025)
La faible présence des femmes sur les plateformes en ligne peut être interprétée comme un symptôme d’une sous-représentation dans les métiers du numérique et l’entrepreneuriat formel, ce qui contribue à la perpétuation du cycle d’inégalité.
La cartographie de l’emploi : le poids de l’informel et les rôles genrés
Source : Pinterest
Selon une étude de l’Institut national de la statistique et de la démographie (INSD) 2015, au Burkina Faso, les jeunes en cours de scolarisation et les femmes au foyer constituent la majeure partie des inactifs sur le marché du travail, un symbole que l’inclusion des femmes de façon globale est non effective et que l’impact s’étend sur tous les secteurs, notamment le numérique.
D’importantes disparités existent entre les femmes et les hommes en matière de taux de chômage. Selon le lieu de résidence, la région, la tranche d’âge et la situation de handicap, on identifie clairement un fort taux de chômage chez les femmes. Les femmes ont donc des difficultés de base à s’insérer professionnellement dans la société de manière générale, ce qui implique directement un grand fossé dans le numérique.
Source: Livret de genre Burkina 2023 et DGESS/MESRI, Enquêtes statistiques annuelles 2021/2022
La répartition des enseignants du supérieur, par sexe et type d’institution universitaire, révèle un fossé de nature différente, une illustration parfaite des inégalités de genre dans le corps professoral. L’on remarque que les domaines ouverts au numérique tels que les sciences et techniques d’ingénieurs et les mathématiques-physique-chimie présentent des taux de femmes enseignantes-chercheuses très faibles. La réalité est claire , on assiste à une sous-représentation des femmes dans les filières scientifiques et techniques de l’enseignement supérieur.
On constate également la faible présence féminine sur des plateformes professionnelles comme LinkedIn .
Cette situation met en évidence un fossé qui n’est pas seulement quantitatif mais aussi qualitatif. Les femmes sont présentes dans le secteur, mais souvent dans des rôles à faible valeur ajoutée ou qui ne leur confèrent pas un pouvoir de décision ou de création.
Les fondements du fossé genre
Les pesanteurs socioculturelles : le poids invisible des normes
L’inégalité de genre au Burkina Faso trouve ses racines dans des normes sociales et culturelles qui en sont la cause principale. Ces pesanteurs socioculturelles définissent des rôles de genre rigides, où la masculinité est associée à l’autorité et au devoir de subvenir aux besoins de la famille, tandis que la féminité est liée à la maternité et à un rôle d’assistance respectueuse. Cette vision culturelle construite se transmet dès le plus jeune âge, à travers des jeux et une éducation qui imitent les rôles adultes spécifiques à chaque genre. Les filles sont encouragées très tôt à aider leur mère dans les tâches ménagères, tandis que les garçons le sont dans les tâches masculines.
Cette socialisation précoce a un impact direct sur le parcours éducatif et professionnel.
Selon une étude réalisée en France en 2021 par l’école informatique Epitech et Ipsos, les stéréotypes des parents éloignent les filles des métiers du numérique, avec seulement 33 % des filles encouragées contre 61 % des garçons, or les parents sont les principaux prescripteurs en matière d’orientation.
Cette disparité dans l’encouragement parental s’inscrit dans un problème plus large de sous-représentation des femmes dans le numérique. Le problème des stéréotypes parentaux français se traduit par des inégalités structurelles encore plus profondes en Afrique francophone et trouve un écho dramatique au Burkina Faso, où ce fossé prend une dimension encore plus critique.
Les stéréotypes de genre, inculqués dès l’enfance, influencent les choix d’orientation des filles, ce qui se traduit par leur sous-représentation dans les filières techniques et donc dans les emplois du numérique. On assiste parfois à des propos tels que « les maths sont trop dures pour les filles, les séries scientifiques sont faites pour les garçons ».
Dans le milieu professionnel, ces stéréotypes persistent. Le poids des responsabilités familiales et le manque d’équilibre entre vie privée et vie professionnelle constituent des barrières majeures à leur progression de carrière.
L’absence de modèles féminins à des postes de leadership ou d’innovation renforce à son tour ces mêmes stéréotypes, perpétuant ainsi l’exclusion et le sous-développement du potentiel féminin. L’autocensure en ligne, où les femmes sahéliennes restreignent leurs publications par crainte du harcèlement et pour se conformer aux normes sociales, constitue un autre aspect de cette barrière invisible.
Les facteurs liés à l’insécurité, au problème socio-économique et à l’accès
La crise sécuritaire au Burkina Faso a des conséquences directes sur l’inclusion numérique. Les infrastructures de télécommunications sont parfois ciblées par les terroristes, ce qui rend la connectivité instable et l’accès au digital difficile en milieu rural. Pour les personnes déplacées internes, la technologie pourrait être un levier de protection, d’accès à l’information et d’autonomisation économique.
Cependant, les conditions de vie précaires et la destruction des infrastructures limitent gravement ces opportunités, en particulier pour les femmes et les populations les plus vulnérables.
La faible adoption du numérique n’est donc pas le résultat d’une seule cause, mais plutôt d’une convergence de plusieurs facteurs.
Les coûts élevés des outils et le manque de formations présentent un gap énorme sur les femmes en milieu rural. La pauvreté et l’insécurité ne font qu’exacerber les inégalités préexistantes.
L’accès au numérique est un privilège qui dépend de la capacité financière et de la stabilité de l’environnement, des conditions qui sont souvent plus difficiles pour les femmes.
Les actions à féliciter
Initiatives politiques et associatives : les fondations d’un écosystème en devenir
Face à ces défis, un écosystème d’acteurs s’est mobilisé pour promouvoir l’égalité de genre dans le secteur numérique. Le gouvernement burkinabè a mis en place un cadre stratégique, notamment avec l’adoption de la Stratégie nationale genre, qui est un cadre de référence pour l’intégration du genre dans tous les secteurs, y compris le numérique.
On a le Ministère du Genre, de la Solidarité nationale, de la Famille et de l’Action Humanitaire dont la principale mission est d’assurer la mise en œuvre et le suivi de la politique du Gouvernement en matière de promotion de la femme et du genre, plus spécialement la réduction des inégalités entre les sexes et l’élaboration d’actions humanitaires.
Parallèlement, la société civile et les partenaires privés jouent un rôle essentiel sur le terrain. L’association Digit-ELLES/Burkina Faso, lancée en 2024, a pour mission de promouvoir l’inclusion numérique des jeunes filles et des femmes par des formations en codage, bureautique et cybersécurité, ainsi que par la création de réseaux de mentorat.
La Fondation Orange Burkina, à travers son programme Maisons Digitales, a déjà formé plus de 40 femmes au Burkina Faso, leur donnant les bases du numérique et un accès à des équipements. De plus, certains incubateurs comme le Wakat Lab à travers son programme Mousso Tech en 2021 a initié des activités pour l’inclusion numérique et l’autonomisation des jeunes filles à Ouagadougou et Bobo-Dioulasso.
L’Association Femmes TIC Burkina Faso (AFTIC-BF) a, en marge du 8 mars numérique du 4 au 7 mars 2024 à Ouagadougou, initié des activités « Women DNS Academy Burkina Faso », une formation en gestion des noms de domaine internet au profit de 20 jeunes filles et un webinaire sur le thème « numérique et autonomisation de la femme ». En mars 2025, cette initiative s’est répétée, elle se veut être un cadre d’échange, d’apprentissage et de renforcement de capacité des jeunes filles dans le domaine du numérique.
Source : les participantes à la 1ere édition du « Women DNS Academy Burkina Faso », photo pris sur le média Ouest Info
On a l’Agence belge de développement (Enabel) au Burkina Faso qui a lancé le projet Digital for Girls and Women, en abrégé « D4GW » pour contribuer à réduire le gap entre les hommes et les femmes en matière d’accès au numérique.
Ces initiatives sont salutaires et nécessitent une meilleure coordination. Une cartographie des actions menées par les différents acteurs publics et privés permettrait de visualiser la synergie entre les efforts, évitant ainsi la duplication et maximisant l’impact. Tandis que l’État pose le cadre stratégique, le secteur privé et associatif sont souvent à la pointe de la formation et du financement, ce qui souligne la nécessité de partenariats solides pour surmonter les obstacles structurels.
L’éducation et la sensibilisation
Source: Africa Up Close
Il est impératif d’intervenir dès le plus jeune âge pour déconstruire les stéréotypes de genre qui éloignent les filles des filières scientifiques et techniques. Les politiques éducatives doivent viser à réduire les disparités de scolarisation et à intégrer le numérique de manière non genrée dans les cursus, du primaire à l’université. Parallèlement, le renforcement des programmes de mentorat est nécessaire. L’extension d’initiatives comme celles de Digit-ELLES ou des Maisons Digitales de la Fondation Orange permettrait de créer des réseaux de soutien et de fournir des modèles concrets. Valoriser les parcours de femmes innovatrices tout en étant transparent sur les difficultés qu’elles ont rencontrées rendrait ces modèles plus puissants et accessibles.
Recommandation : vers une collecte de données de genre plus robuste dans le secteur du numérique
Nous remarquons que les données précises sur la répartition des genres dans les emplois numériques formels au Burkina Faso sont presque inexistantes. Pour que les politiques publiques soient efficaces, elles doivent reposer sur des chiffres fiables. La mise en place d’un observatoire national du genre dans le secteur numérique, en collaboration avec l’INSD, l’observatoire des TIC au Burkina Faso et le Ministère de la Transition Digitale, est une recommandation primordiale. Un tel observatoire permettrait de :
- Recueillir des statistiques détaillées sur l’emploi formel et informel dans le secteur.
- Suivre les progrès des initiatives de formation et de financement.
- Évaluer l’impact des politiques sur le long terme et ajuster les actions en conséquence.
Le futur est numérique et féminin.
Le fossé de genre dans le secteur numérique au Burkina Faso est une réalité complexe, fruit d’un ensemble de facteurs historiques, culturels, éducatifs et économiques. Les données révèlent un écart d’accès et une ségrégation des rôles qui ne peuvent être surmontés par des solutions de surface.
L’inclusion des femmes dans les métiers du numérique n’est pas qu’une simple question d’équité ou de droits. C’est une nécessité économique et sociale.
Une publication d’afriqueitnews.com sur la fracture numérique des femmes révèle que la “ fermeture de la fracture numérique entre les sexes pourrait générer des bénéfices économiques significatifs. La GSMA estime que l’élimination de cet écart d’ici 2030 pourrait ajouter 1 300 milliards de dollars au PIB des pays à revenu faible ou intermédiaire et 230 milliards de dollars de revenus supplémentaires pour l’industrie mobile.”
En débloquant le potentiel économique, le Burkina Faso ne se contente pas de combler un fossé ; il se donne les moyens de construire une société plus résiliente, plus prospère et plus juste. Le futur du « Pays des Hommes Intègres » est numérique et ce futur, plus que jamais, se conjugue au féminin.
Sources et bibliographie
Burkina Faso Digital 2023 : rapport sur le digital et les médias sociaux au Burkina pour 2022.
Social Media users in Burkina Faso – 2025
ENQUETE NATIONALE SUR L’EMPLOI ET LE SECTEUR INFORMEL (ENESI-2015) Phase 1
Burkina : « Le secteur formel emploie seulement 6,7% de la population », selon l’INSD – leFaso.net
Analyse du sous-secteur informel des TIC au Burkina Faso
Observatoire sur la féminisation des métiers du numérique
DOCUMENT DE LA POLITIQUE NATIONALE GENRE DU BURKINA FASO
Association au Burkina : les différentes formes juridiques
Maison digital FOBF | Orange Engage for Change – Burkina Faso
Fracture numérique en Afrique : les femmes toujours à la traîne malgré les progrès
Cette publication WanaData a été soutenue par Code for Africa et la Digital Democracy Initiative dans le cadre du projet Digitalise Youth, financé par le Partenariat Européen pour la Démocratie (EPD).