Le patronyme n’est pas qu’un mot sur une carte d’identité. Il est mémoire, héritage et dignité. Pourtant, sous l’influence de pratiques venues d’ailleurs, des générations de femmes ont vu leur nom s’effacer derrière celui de leur époux. Lisez la chronique de Franceline Ouédraogo.
Le nom de famille est bien plus qu’une simple étiquette sociale. Il est le témoin de notre lignée, le lien visible avec nos parents, et la mémoire de notre appartenance. En Afrique, dans nos traditions, il a toujours eu une force identitaire. La femme, même mariée, portait son patronyme avec fierté. On pouvait dire qu’elle était l’épouse de telle famille, mais jamais on ne l’effaçait derrière le nom de son mari.
Or, avec l’influence coloniale et les pratiques occidentales, s’est imposée une habitude qui a peu à peu gagné nos mentalités : celle de substituer le nom de la femme par celui de son époux. Ce changement, considéré comme un signe de respectabilité et parfois revendiqué comme une preuve d’amour, est en réalité un paradoxe. Il efface symboliquement l’identité de la femme et la réduit à l’ombre d’un homme. Être désignée comme « Madame X » n’est pas anodin : c’est une façon subtile de dire que la femme n’existe que par son époux.
Pourtant, aucune société équilibrée ne peut s’ériger sur l’effacement d’une identité. L’égalité que nous revendiquons aujourd’hui ne peut se limiter aux discours. Elle doit aussi se traduire dans nos symboles, et le nom en est un des plus puissants. Garder son patronyme ne signifie pas rejeter son mariage ni nier son conjoint : c’est affirmer que le lien conjugal n’efface pas les racines familiales. C’est honorer ceux qui nous ont donné la vie, transmettre la mémoire de notre lignée, et rappeler que le mariage est une alliance, pas une dissolution.
Je prends ici une position claire, quitte à déplaire à certains. Moi, Sawadogo Nonmwendé, je n’ai jamais accepté l’idée de perdre mon nom au profit de celui d’un homme au point d’aller jusqu’à modifier mes documents d’identité pour préserver cette cohérence. Certains s’en amusent, d’autres s’en indignent, et quelques-uns vont jusqu’à se moquer de moi parce que je revendique fièrement mon patronyme. D’autres encore pensent que Sawadogo est le nom de mon mari. Mais peu importe : mon nom est mon héritage, et je le porterai toujours avec dignité.
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Sociologiquement, cette question du patronyme n’est pas anodine. Elle touche à la manière dont une société perçoit la femme. La chosification commence toujours par de petits gestes symboliques : effacer un nom, réduire une identité, substituer une personne par une appartenance. Lorsque la femme se définit uniquement par son mari, elle abdique une part de son individualité. Et lorsqu’elle revendique au contraire son nom, elle affirme haut et fort qu’elle est un être complet, digne et libre.
Le débat est sensible, je le sais. Il bouscule des habitudes profondément ancrées et peut heurter hommes comme femmes. Mais il est nécessaire. Parce que préserver son patronyme, c’est préserver son identité. C’est dire aux générations futures, surtout aux jeunes filles, qu’on peut être épouse sans cesser d’être soi. Qu’on peut aimer sans s’effacer. Et que l’alliance sacrée du mariage n’a jamais exigé le sacrifice de l’âme ni de l’héritage.
Il est temps, je crois, de réhabiliter cette fierté originelle : celle de porter son nom sans honte, sans gêne et sans compromis. Parce qu’en vérité, se marier ne devrait jamais signifier se renier.
Franceline Nonmwendé Sawadogo