Si certaines adolescentes s’épanouissent entre 12 et 17 ans et profitent pleinement de la vie, ce n’est malheureusement pas le cas pour d’autres jeunes filles du même âge, contraintes de s’unir avec des hommes que leur ont choisis leurs parents. Des rêves qui s’effritent, des espoirs qui se brisent et des lueurs d’espoirs qui s’échappent, voici des récits de vie de trois jeunes adolescentes victimes de mariage d’enfants.
Talato est une jeune fille de 14 ans qui fait la classe de 6e. Derrière cette silhouette de fille naïve et pleine de vie, se cache pourtant un cœur meurtri. Talato a dû s’enfuir de son village Zogoré, situé à environ 25 km de Ouahigouya pour échapper à un mariage d’enfants. « Lorsque j’ai appris que mon grand-père préparait mon mariage à mon insu, je n’avais autre solution que de fuguer. Mes parents étant en Côte d’Ivoire, il m’est difficile de lui désobéir. J’ai alors fui de la maison pour venir ici à Ouahigouya chez une de mes sœurs qui par la suite m’a amenée chez le pasteur à l’église des Assemblée de Dieu. Je n’ai pas pu terminer l’année scolaire et mon souhait présentement c’est d’avoir la possibilité de reprendre l’école l’année prochaine. Si je repars à Zogoré, on va me marier de force », relate l’adolescente.
Tout comme Talato, Sibiri, 17 ans aujourd’hui a aussi dû s’éloigner de sa famille à cause d’un mariage forcé pour se retrouver à l’association des jeunes pour le bien-être familial (AJBF). « Je faisais la classe de 4e quand j’ai appris que mon père voulait me marier de force. Je me suis rendue à l’action sociale et de là, j’ai été accueillie par l’AJBF à Ouahigouya ». Deux jours après son départ, la mère de Sibiri a été chassée du domicile conjugal. Très courageuse, elle n’a pas désespéré et a poursuivi ses études. « Je suis très contente car si j’étais restée à Gourcy, je serai aujourd’hui mariée à un inconnu. On m’a informé que mon père a laissé tomber et souhaite que je retourne auprès d’eux », se réjouie Sibiri qui vient de décrocher son BEPEC.
Alimata, elle vient de débarquer au centre AJBF en provenance de Tibtenga. Âgée de 17 ans, son père veut la marier de force. Sa mère a été répudiée et la jeune fille est présentement entre le marteau et l’enclume. Complètement désemparée, elle n’a aucune idée de la tournure que va prendre sa vie présente.

Ces trois cas ne sont que des exemples parmi tant d’autres. Bien nombreuses sont les filles âgées de 12 à 17ans qui subissent les affres du mariage d’enfants. « Une fois que les filles nous parviennent par l’intermédiaire de l’action sociale ou de particuliers, elles sont totalement prises en charge pendant que se poursuivent les médiations », s’est exprimée la responsable du centre de l’AJBF, Mariam Ouédraogo.
273 cas de mariages d’enfants enregistré dans le Nord
Le mariage d’enfants, à en croire la directrice régionale de la Femme de la Solidarité nationale et de la Famille, Azèta Ouédraogo, est malheureusement d’actualité dans la région du Nord, surtout dans la province du Lorum et du Yatenga. « Si on prend l’année 2017 pour toute la région, on se retrouve avec 273 cas de
mariages d’enfants enregistrés sans oublier qu’il y a des cas où nous ne sommes pas informés. 14 cas dans le Lorum, 210 cas dans le Yatenga, 12 cas dans le Passoré et 27 cas dans le Zandoma», a-t-elle indiqué. Des chiffres qui font froid dans le dos dans la mesure où c’est une violation des droits de ces jeunes filles. Certains cas compliqués sont envoyés à la police judiciaire (Gendarmerie ou Police) pour être traitée sous un autre angle.
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Selon Abdoul Rasmané Ganam, commissaire central adjoint de la police, l’âge des victimes varie entre 12 et 15 ans et la plupart sont des orphelines. Toutefois, il est souvent difficile de retrouver les auteurs à cause du manque de poste de police ou de gendarmerie dans la localité ». « A l’heure où je vous parle, nous avons un cas et la difficulté qui se pose est que le monsieur mis en cause est un orpailleur sans domicile fixe », a-t-il relaté.

On a tellement sensibilisé sur le mariage d’enfants, qu’il faut maintenant réprimer
L’absence de centre d’accueil au niveau de la direction régionale en charge de la femme, fait que les victimes, lorsqu’elles arrivent sont logées chez des parents proches ou dans des structures d’accueil privées. La direction, cependant au mot de sa première responsable mène des actions de sensibilisation auprès des leaders coutumiers et des parents d’enfants. « Il faut travailler au maintien des filles à l’école et les sensibiliser sur les grossesses indésirées, toute chose qui amène les parents à vouloir les marier précocement », a argumenté Azèta Ouédraogo. Et Caroline Sorgho, d’ajouter que le fait d’octroyer des bourses aux filles contribue à lutter contre le phénomène, car cela empêche les parents de prétexter la pauvreté pour marier leurs filles tôt.
Le directeur de cabinet de la mairie, Yassia Ouédraogo, pour sa part, affirme qu’il faut légiférer en la matière. « On a tellement sensibilisé sur le mariage d’enfants, qu’il faut maintenant réprimer. Si d’aucuns disent que c’est un problème culturel, on doit savoir qu’une culture qui fait plus de mal que de bien n’a aucune raison d’être. Ce n’est pas normal qu’on donne en mariage un enfant de 12 ans », s’est-il insurgé. Et le commissaire Ganam d’ajouter, qu’on ne peut pas continuer de justifier le mariage d’enfants par l’ignorance des parents, car dit-il « chaque parent doit se soucier du bien être de sa fille et de son avenir ».

Tout compte fait, il est inadmissible qu’au 21e siècle, on continue d’enregistrer des poches de résistance en ce qui concerne le mariage d’enfants. C’est une violation des droits de la jeune fille et une véritable atteinte à son intégrité physique et morale. C’est pourquoi, il faut une synergie d’action et une franche collaboration de la population pour signaler les cas de mariage d’enfants, afin de stopper définitivement ce phénomène combien dévastateur pour la fille mineure.
Assétou Maiga