Chaque année, des dizaines de jeunes filles venues d’Afrique de l’Ouest tombent dans les filets de réseaux de prostitution en quête d’un avenir meilleur. C’est le cas de Miracle, jeune fille de 23 ans qui a tout connu sauf la paix. Partie du Nigeria pour fuir la misère, elle s’est retrouvée piégée dans la prostitution à Ouagadougou. Derrière les sourires forcés et les nuits sans sommeil, une jeunesse est sacrifiée.
À première vue, elle n’a rien d’une victime. Femme de taille moyenne, belle, le regard intense, elle incarne cette jeunesse nigériane pleine de grâce et de fierté. Volontaire et d’une voix calme, presque posée, elle décide de se confier à nous. Derrière son apparente sérénité se cache une histoire faite de ruptures, d’abandons, de pièges tendus par un système où la misère pousse des jeunes femmes à vendre ce qu’elles ont de plus intime, leur corps.
À seulement 23 ans, cette jeune Nigériane originaire de Calabar a déjà vécu ce que beaucoup redoutent. Être arrachée à ses rêves, déracinée, trompée, exploitée… puis réduite au silence.
L’illusion d’un avenir
Tout commence après ses études secondaires. Issue d’une famille modeste, Miracle est l’aînée de cinq enfants. Sa mère, pilier de la maison, tente tant bien que mal de faire vivre la fratrie. Le père, lui, a changé. Distant, peu impliqué. Le poids des responsabilités s’est naturellement déposé sur les épaules de la jeune fille.
« J’ai essayé tous les petits boulots. J’ai travaillé dans une station-service pour 15 000 nairas par mois. J’économisais pour apprendre un métier. Mais chaque fois, l’argent partait pour régler un problème familial », explique-t-elle les yeux se perdant dans le vide.
Asthmatique, épuisée mais déterminée, Miracle rêve d’un avenir meilleur. Alors, quand un client de la station-service lui propose un poste d’assistante auprès de sa fille au Burkina Faso, elle y voit une opportunité. « Il m’a dit que sa fille avait besoin d’aide, que tout serait pris en charge. Ça m’a semblé honnête. J’ai demandé la permission à ma mère. Elle a refusé. Mais je l’ai convaincue », raconte-t-elle.
C’est ainsi qu’en 2022, Miracle quitte le Nigeria. Mais ce qu’elle trouve en arrivant à Ouagadougou n’a rien à voir avec ce qu’on lui avait promis.
Un cercle infernal
Dès son arrivée, elle comprend qu’il ne s’agit pas d’un travail d’assistance, mais de prostitution. « J’étais sous le choc. Mais j’étais déjà là, sans rien. On m’a dit qu’il fallait d’abord « payer » ma venue, rembourser ce que j’avais « coûté ». Ensuite, je pourrais garder mon argent », explique-t-elle, baissant les yeux, honteuse, comme si elle revivait cette trahison.
C’est alors que commence un cycle infernal. Chaque nuit, elle doit sortir. Chaque client est un risque. Certains paient, d’autres l’insultent, la frappent, ou refusent de régler. Les gains sont aléatoires. Certains soirs 25 000 francs CFA, d’autres rien. Parfois, une semaine entière passe sans le moindre franc.
« Les gens croient qu’on est riche. Mais moi, je n’arrive plus à compter les jours où je n’ai pas mangé. Souvent je dors avec la faim. Je me fais insulter par mon bailleur quand je ne paie pas. Je pleure seule. Je n’ai personne », lance-t-elle en essuyant ses larmes. Sa famille, au Nigeria, ne sait rien. Sa mère la soupçonne, mais Miracle la rassure. Elle se protège elle-même tout en faisant de même pour sa famille. « Ma mère pense que je fais du commerce. Mon père ne pose pas de questions parce que nous ne parlons pas beaucoup entre père et fille. Je ne leur ai jamais dit. J’ai trop honte », ajoute-elle.
Lire aussi : « Soir d'ombre sur l'université » : Halima Gnessien met en lumière la vie de débauche des étudiants
Les violences, les abus… et le silence
Aujourd’hui, cela fait exactement 2 ans 5 mois et 2 semaines que Miracle fait cette bassesse. Dans ce métier imposé, les dangers sont multiples. Miracle a été battue, volée, menacée. Parfois même, elle a cru ne pas survivre. « Un jour, j’ai été tabassée par un client. Il a pris tout mon argent. Je suis rentrée en sang. J’ai juré que plus jamais je ne me mettrai en danger pour ça », confie-t-elle avec le regard durcit.
Mais l’engrenage est là. Les dettes, le loyer, les besoins familiaux. « C’est un choix qu’on fait quand on n’a plus le choix », dit-elle. Comme beaucoup d’autres, elle vit dans un cercle de dépendance où la honte se mêle à la nécessité.
Être prostituée, dans un pays étranger, sans papiers ni appui, c’est être vulnérable à tous les niveaux. D’un côté, la peur des policiers, des contrôles, des arrestations. De l’autre, le mépris des voisins, la rumeur, les moqueries. « Même si je veux parler, qui va m’écouter ? Les gens nous jugent. Ils parlent comme si on avait choisi ça par plaisir », lance-t-elle avant de renchérir « c’est parce que nous sommes des filles faisant ce boulot. Et les hommes, les jeunes ou ceux qui délaissent leurs femmes pour venir satisfaire leur libido chez nous ? Comment doit-on les appeler ? La société ne voit pas cet aspect mais la femme qui se prostitue ». Elle n’en a jamais parlé à personne jusqu’à aujourd’hui. Et elle continue de se demander pourquoi avoir accepté de s’ouvrir à nous.
Une lueur dans l’obscurité
Depuis quelques mois, elle tente de reprendre le contrôle. Elle a intégré un apprentissage en coiffure. Un geste simple, mais immense, vers la dignité retrouvée. « Je tresse les cheveux. Je suis apprentis. Dans six mois, j’aurai tout géré comme dettes et je pars de ce quartier. Je recommence à zéro », confie-t-elle avec un léger sourire. C’est d’ailleurs son unique sourire de la soirée. Elle ne rêve pas d’un miracle. Elle rêve d’un salon, d’une vie simple, d’un retour à l’école. Et surtout, de paix. « Je veux me retrouver. Être juste une fille normale, avec une vie normale et continuer les études », lance-t-elle.
Un message pour les autres filles
À celles qui seraient tentées par les promesses faciles, Miracle lance un avertissement. « Ce n’est pas une vie. Tu vas perdre ton corps, ta tête, tes rêves. Ce qu’on t’offre est un mensonge. Reste chez toi. Bats-toi, mais ne viens pas ici pour ça. Nous sommes déjà dedans et nous essayons de nous sortir de ça. Toutes celle qui vendent leur corps par contrainte ne désirent qu’une chose. Payer les dettes et se libérer de cette vie », insiste-t-elle
Elle n’est pas une exception. Derrière elle, des dizaines d’autres jeunes filles nigérianes vivent la même réalité, entre fausses promesses, réseaux de traite et solitude. Leur histoire reste souvent dans l’ombre. Mais elle refuse de sombrer. Pour sa mère. Pour ses sœurs. Pour elle-même.
« J’ai tout perdu, sauf la volonté de m’en sortir », conclu-t-elle.
Fabrice Sandwidi