Bérégadougou, le nid des élèves filles-mères

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des élèves filles-mères

A  Bérégadougou, localité située à 15 km de la ville de Banfora, dans les cascades, le phénomène des grossesses en milieu scolaire est plus qu’un effet de mode. A peine âgé de 15 ans, la plupart des jeunes filles élèves ont déjà leur « premier gosse » à la maison. Reportage d’un fait de société qui met en danger le système éducatif burkinabè.

Il est 16heures passé de 25 minutes ce lundi 17 juillet 2017, lorsque nous nous apprêtions pour prendre la route qui relie Banfora à la commune rurale de Bérégadougou. Assis à califourchon derrière la motocyclette d’un de nos confrères, sac au dos hermétiquement fermé, à l’intérieur duquel se trouve ordinateur, bloc note, appareil photo.  Nous voilà engloutis sur cette voie non bitumée en partance à la rencontre des filles- mères.

Parsemés de nids de poules par endroit, cet axe semble, malgré tout praticable, me lance mon « conducteur » du jour comparativement aux autres routes.

Après une demi-heure de trajet entre bavardage et silence, nous arrivons à destination la tête, le visage et les habits bien embourbés de poussière. Sur les lieux, nous attendait, la présidente de l’Association Faso Djigui, Aoua Coulibaly/Yigo communément appelé Tantie Rebecca. C’est elle qui a la charge de nous introduire auprès de ces élèves filles mères.

Après les salutations d’usage avec « Tantie Rébecca », nous arpentons quelques ruelles et débouchons sur une autre voie. Là, sont assises de nombreuses jeunes filles, devisant entre elles sous un arbre. A leur côté, des enfants jouant au ballon. Lesquels enfants sont le fruit des entrailles de ces jeunes filles élèves, nous apprend avec précision notre accompagnatrice.

« Voici les jeunes filles dont je vous ai parlées au téléphone. Voyez comment vous allez vous entretenir avec elles », nous dit notre guide après avoir fini de nous présenter aux filles.

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A 9 ans, elle veut utiliser les méthodes contraceptives

La grossesse est venue comme ça

Une à une, chacune raconte sa mésaventure. Les autres s’effacent, la conversation s’installe. Kadi Sanou, une fille au teint clair, les lèvres bourrues et ses petits rires innocents laissent apparaître toute sa beauté. Lorsqu’elle commence à expliquer les conditions dans lesquelles sa grossesse est obtenue par ignorance certainement, ses yeux rougis de larmes. Est-ce un sentiment de remord ?

Elle s’arrête, un silence radio. La paume de la main caresse le visage, s’attarde sur son front, et lui protège partiellement les yeux. Une timidité d’enfant. Seule une relance subtile peut lever le blocage.

Elle garde son secret, sa douleur, sa révolte, son impuissance face à cette situation qui l’a éloignée de l’école. « J’ai été abusée par un homme un soir. Je suis tombé enceinte de lui. C’est en ce moment qu’ont débutées mes souffrances », relate-t-elle tout doucement.

Kadi Sanou est tombée enceinte en étant en classe de 5ème à l’âge de 14 ans. Cette grossesse subite comme elle le qualifie si bien a été le facteur de son retard à l’école. « A cause de la grossesse, j’ai fait une année blanche avant de reprendre les cours. Malgré cette reprise, je n’ai pas réussi à mon BEPC pour la deuxième fois », raconte la jeune fille.

Dans sa langue maternelle (le dioula), Kadi Sanou, un peu timorée et l’air innocente avoue que la grossesse est venue d’elle-même.« La grossesse est venue comme cela. Je ne pouvais plus rien faire d’autre que de mettre l’enfant au monde en dépit du fait que je n’en voulais pas », se désole-t-elle toute triste.

Bien que tombée involontairement enceinte, la jeune élève affirme ne pas ignorer les bienfaits des méthodes contraceptives. « Je connaissais l’existence du préservatif, les pilules, les piqures. Je sais que son utilisation empêche les grossesses.  Mais je n’ai pas eu l’occasion d’en utiliser parce que je m’attendais pas un rapport sexuel ».

Quant à Justine Sagnon, elle a été plus chanceuse si nous pouvons le dire ainsi. Tombée enceinte dans des conditions dont elle ignore dès la classe de 4ème . Elle s’est vue éloigner des classes durant une année avant de faire son retour.  Ce retour, Justine Sagnon le doit au décès de son enfant.

« Ce n’était pas facile pour moi. Les parents, le regard des autres camarades, le manque d’argent pour prendre soin de l’enfant et de soi-même m’ont beaucoup fatigué. Si j’ai pu reprendre les cours c’est parce que l’enfant n’est plu », relate la jeune mère. Aujourd’hui, elle suit ses cours et vient de réussir à son examen

L’avortement, le premier réflexe

Souriante, un teint noir, Afsétou Dagnogo vient d’échouer pour la seconde fois à son BEPC après avoir passé une année blanche. Cet échec, elle l’impute à sa grossesse précoce contractée il y’ a de cela 3ans en classe de 5ème.

Aujourd’hui mère d’un enfant de 3 ans, c’est avec beaucoup de regret que Afsétou parle de sa grossesse. « Dès que j’ai su que j’étais enceinte, la première idée qui m’est venue en tête, c’était d’avorter sans même penser aux conséquences », raconte la jeune fille avant d’ajouter qu’elle a été découragée par sa mère dans cette initiative.

Aujourd’hui plus que consciente, elle invite les autres filles à ne pas avoir de relation sexuelle sans se protéger. « Mon plus grand malheur c’est d’être allé avec un homme qui allait mettre mon avenir en péril. Jamais je n’aurai des rapports sexuels sans protection».

Plus nous échangions avec les jeunes filles, plus les langues se délient. C’est ainsi que nous apprenions avec Afsétou que dans le quartier la quasi-totalité des filles élèves ont leurs enfants à la maison. Un fait que la présidente de l’Association Faso Djigui confirme.

En classe de CM1, elle a son premier enfant

« Celles que vous interviewez même sont trop âgées. Il y’ a des fillettes en classe de CM2 qui ont déjà leur enfant. Le cas qui a fait plus de bruit à Bérégadougou c’est la situation de la petite fille de CM1 » explique ironiquement« Tantie Rebecca ».

Aoua Coulibaly, présidente de l’association Faso Djigui

Pour elle, la situation alarmante des grossesses précoces en milieu scolaire est due à la pauvreté et à la proximité de la commune à la frontière Ivoirienne. Nonobstant les efforts de son association, le mal persiste.  « Pour notre part, nous œuvrons à travers la sensibilisation pour montrer aux filles les conséquences liées aux rapports sexuels non protégés, aux grossesses non désirées. », avance la présidente de l’Association Faso Djigui.

Dans notre lutte, explique-t-elle, nous essayons tant bien que mal à échanger avec les parents sur l’éducation des enfants et de montrer les désastres liés aussi à un autre phénomène qu’est l’excision, qui a la peau dure à Bérégadougou.

 « Si rien n’est fait pour occuper les jeunes,  la question des grossesses précoces sera intraitable dans les années à venir »,  « Tantie Rebecca »

Cette problématique est bien connue des premières autorités de la région. De l’avis du Secrétaire général de la région des cascades, Boubacary Traoré, la question des grossesses précoces en milieu scolaire est une grande préoccupation pour les premiers responsables de ladite région.

« Nous avons pris conscience de ce phénomène depuis plus de deux ans. Dans toutes les communes, le problème est existant. Pour mettre fin à ce fléau, nous menons plusieurs campagnes de sensibilisation », confie le secrétaire général.

Au cours du premier semestre de l’année scolaire 2016-2017, selon les statistiques des services du ministère en charge de l’éducation dans la région des cascades au niveau du primaire, il y a eu 61 cas de grossesse au primaire et 299 situations au secondaire. L’âge des filles concernées par ce fléau varie de 12 à 16 ans.

                                                                                                                                       Issa KARAMBIRI

                                                                                                                                 Karambiri.issa@gmail.com

 

 

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