l’occasion de la journée internationale de lutte contre les mutilations sexuelles, le directeur exécutif du Comité inter-africain sur les pratiques traditionnelles néfastes (CI-AF ), le docteur Morissanda Kouyaté a accordé une interview à RFI dont vous proposons la transcription.Même si la pratique de l’excision tend à la baisse, Dr Morissanda appelle les pays concernés à ne pas baisser la garde.
l’occasion de la journée internationale de lutte contre les mutilations sexuelles, le directeur exécutif du Comité inter-africain sur les pratiques traditionnelles néfastes (CI-AF ), le docteur Morissanda Kouyaté a accordé une interview à RFI dont vous proposons la transcription.Même si la pratique de l’excision tend à la baisse, Dr Morissanda appelle les pays concernés à ne pas baisser la garde.
RFI: Cela fait trente ans que vous êtes impliqué dans ce combat pour le respect du corps des femmes. Avez-vous le sentiment que votre message progresse ?
Docteur Morissanda Kouyaté: Oui, j’ai ce sentiment et avec moi, le Comité Interafricain a le sentiment que le combat n’est pas mené en vain parce que nous avons des résultats probants. Les populations, les leaders religieux, les leaders traditionnels, les décideurs politiques et les communautés elles-mêmes ont commencé à comprendre que ces pratiques n’ont aucun fondement bénéfique, ni aucun fondement religieux et ni aucun fondement culturel. Par conséquent, il n’y a que des conséquences néfastes à la santé des femmes et des filles.
Il y a beaucoup de pays qui ont fait reculer la prévalence des mutilations génitales féminines. L’Ethiopie qui était dans les environs de 76 % est retombée aujourd’hui à 50 %. Quand nous prenons le Burkina Faso qui était dans les environs de 80 %, il est descendu aujourd’hui aux environs de 50 %. Même un peu moins. Les tendances sont partout à la baisse. Les chiffres diffèrent, l’allure diffère d’un pays à l’autre mais la tendance est descendante.
Ce qui a changé c’est que certains pays qui n’osaient pas appliquer leur propre loi contre les mutilations génitales féminines – certains pays n’osaient même pas prendre des initiatives contre les mutilations génitales féminines – ont été poussés et encouragés. Les dirigeants politiques qui avaient peur de parler des mutilations génitales ou de prendre des actes concrets, se sont alors dit : Voilà, nous ne pouvons pas être à la traîne.
Alors il y a d’abord cette volonté politique et ensuite il faut des projets locaux. Qu’est-ce qui marche concrètement pour faire reculer l’excision dans les campagnes ?
Premièrement, il faut faire le plaidoyer à tous les niveaux chez les décideurs. Deuxièmement, il faut faire la sensibilisation à tous les niveaux. Les communautés, les associations, les professionnels de médias, les leaders religieux et les professionnels de la santé… tout le monde doit être sensibilisé ! Troisièmement, il faut une loi. Une loi spécifique, dans les pays, qui condamne les mutilations génitales féminines et qui soit appliquée. Quatrièmement, il faut prendre en charge les victimes. Car en effet, on parle beaucoup de la sensibilisation, mais encore faudrait-il penser à celles qui ont été victimes et qui ne savent pas où aller ! Et la cinquième chose c’est la stratégie du » travailler ensemble » au niveau mondial, régional, national et communautaire.
Trois millions de jeunes africaines sont encore soumises à l’excision chaque année. Qu’est-ce qui pousse à continuer à imposer ces pratiques inhumaines ? Est-ce que ce sont des rites traditionnels ou est-ce que ce sont des impératifs religieux principalement ?
Les traditions et les coutumes ont la vie dure. Elles se répètent, elles se transmettent de père en fils, de mère en fille, de famille en famille, sans que les gens sachent exactement pourquoi ils le font. C’est ça qui rend difficile son éradication ! Ensuite, il y a un argument fallacieux confus qui fait porter la charge par la religion, notamment par la religion musulmane ! Non seulement l’islam ne connaît pas les mutilations génitales féminines, mais le Comité interafricain est fier d’avoir reçu des fonds de la Banque Islamique de Développement pour lutter contre les pratiques traditionnelles néfastes.
La persistance est donc due à la simple tradition interactive et répétitive. Mais par rapport à cela aussi, nous sommes en train de gagner la bataille parce que nous démontrons aux gens que le monde avance et que les traditions doivent aussi avancer. Celles qui sont bonnes doivent être gardées et celles qui sont mauvaises doivent être abandonnées.
Il y a aussi un volet économique à ces traditions néfastes à l’excision puisque c’est une activité qui est rémunératrice pour certaines sages-femmes, les accoucheurs traditionnels. C’est là que les petits projets locaux, efficaces, sont très importants.
Absolument ! Vous avez raison ! Le fait que l’exciseuse occupe une position sociale confortable, le fait qu’elle perçoive des revenus – soit en termes monétaires soit en termes de ressources matérielles – la pousse à s’agripper à la pratique. C’est pourquoi le Comité inter-africain a proposé que les exciseuses qui auront accepté de déposer les couteaux, soient intégrées dans un système de micro-crédit communautaire. Il s’agit de convaincre l’exciseuse et ça marche ! Nous l’avons appliqué en Mauritanie, au Mali et en Guinée. Ça marche !
Vous insistez aussi beaucoup sur l’autonomie des femmes dans la société. En quoi cela les protège de ces pratiques ?
La plupart des sociétés africaines considèrent la femme comme étant un fardeau, comme étant une personne qui reçoit de l’homme, que ce soit de l’argent, de la nourriture ou encore des habits. La femme ne peut pas être libre ! La femme ne peut pas être libérée de cette tare socioculturelle si elle ne peut pas se prendre en charge sur le plan social et sur le plan économique. Une femme qui a ses ressources est une femme libre et libérée et c’est ça qu’il faut ! Cette autonomisation est indispensable si nous voulons donner, redonner, restituer aux femmes et aux filles leur statut qui leur manque tant.