« Plus rien ne sera comme avant », c’est le slogan le plus populaire au pays des hommes intègres, depuis la chute de Blaise Compaoré. Cela pour traduire la volonté des gouvernants comme des gouvernés à rompre avec certaines pratiques qui ont gangréné le pays sous le régime déchu, dont la corruption, la gabegie et surtout l’injustice. Dans ce combat pour un Burkina nouveau, un aspect fondamental, notamment la justice alimentaire, semble être omis. Or selon les spécialistes, cette question pourrait être la prochaine source de confrontation si rien n’est fait…
« Plus rien ne sera comme avant », c’est le slogan le plus populaire au pays des hommes intègres, depuis la chute de Blaise Compaoré.Cela pour traduire la volonté des gouvernants comme des gouvernés à rompre avec certaines pratiques qui ont gangréné le pays sous le régime déchu, dont la corruption, la gabegie et surtout l’injustice. Dans ce combat pour un Burkina nouveau, un aspect fondamental, notamment la justice alimentaire, semble être omis. Or selon les spécialistes, cette question pourrait être la prochaine source de confrontation si rien n’est fait…
Consacré par l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le droit à alimentation est un préalable lorsqu’on veut parler de développement. C’est en réalité, la première condition, que tout gouvernement soucieux de préserver la paix dans un pays, doit réunir. Les émeutes de la faim de 2008 en sont la preuve. C’est ainsi que des observateurs avisés de la scène politique burkinabè estiment que la lutte contre la modification de l’article 37 et le sénat qui a conduit à la chute de Blaise Compaoré n’est en réalité que la partie visible de l’iceberg. Sont de ceux-là, Mahamadou Zongo, Enseignant chercheur à l’Université de Ouagadougou. Pour ce dernier, la justice véritable commence lorsque les conditions pour que chaque burkinabè ait le minimum requis pour vivre dans la dignité sont réunies.
La première condition est de régler définitivement la question de l’accaparement des terres parce qu’elle pose un véritable problème de justice et d’équité. En effet, selon l’«Étude sur l’accaparement des terres à grande échelle au Burkina Faso: acteurs, mécanismes et implications pour l’agriculture familiale et la sécurité alimentaire »parue en 2013, commanditée par Inter Pares et COPAGEN, des individus possèdent à eux-seuls 200, 300 et même 1000 hectares. Dans un pays où il y a très peu de ressources, c’est tout simplement inadmissible. L’ampleur du phénomène est telle qu’on assiste de plus en plus à un nombre croissant de paysans sans terre. On estime que 100 hectares de terres accaparées équivalent à 10 familles dépouillées. Dans le Ziro un seul individu à lui seul possède 800 hectares soit l’équivalent de 10 villages.
Ces paysans dépouillés de leur terre, parce qu’ils n’ont pas la possibilité de casser et de brûler dans les rues de Ouagadougou pour se faire entendre, subissent la dictature des nouveaux riches. La question est de savoir jusqu’à quand cela peut-il perdurer ? Au regard du constat sur le terrain, Mahamadou Zongo affirment que la prochaine confrontation au Burkina viendra du foncier si dès maintenant, l’État ne prend pas des mesures qui conviennent. Par exemple, ces titres fonciers acquis parfois de façon douteuse devraient être audités en vue de corriger certains abus. D’autres mesures comme la mise en œuvre effective de la loi 034 sur le foncier, le paiement de taxe en cas de non exploitations des terres achetées, l’orientation des investisseurs dans les zones déjà aménagées à cet effet, pourraient permettre d’arrêter l’hémorragie si toutefois, il y avait la volonté politique. Le hic est que ceux-là même qui sont censés corriger cette injustice font partie des accapareurs. Il suffit de jeter un coup d’œil sur la publication des biens des membres du gouvernement de la transition, à commencer par les premiers responsables, pour comprendre la délicatesse de la situation.
Ensuite, la recherche d’une véritable justice sociale au Burkina passe par la protection l’agriculture familiale. Cependant, le constat amer que l’on fait est que depuis plusieurs années, le politique à tout donner aux agrobusinesmen et très peu aux agriculteurs familiaux. Dans le cadre de la Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition (NASSAN), le gouvernement a attribué selon le Conseil des ministres du 15 octobre 2014, plus de 1440 ha de terre à quatre (04) sociétés nationales privées signataires pour des investissements ciblés dans la zone du pôle de croissance de Bagré en échange d’une contribution initiale annoncée par les membres du G8 d’un montant global de 319,9 milliards de francs CFA. Les investisseurs privés ont eu droit à des hectares de terres aménagées et à des reformes en vue de faciliter le climat des affaires dont des exonérations fiscales. Pourtant, souligne Marc Gansoré, le secrétaire général du Conseil de gestion de la Confédération paysanne du Faso, les paysans qui sont les vrais investisseurs dans l’agriculture, puisqu’ils vivent de cela, manquent d’encadrement nécessaires et de moyens de productions adéquates pour vivre de leur métier. Conséquence, a noté Souleymane Ouédraogo, chercheur à l’INERA et ex-Directeur général de la promotion de l’économie rurale (DGPER), 75% des paysans sont paradoxalement touchés par la faim. De ce fait, investir dans l’agriculture familiale, est non seulement une question de justice sociale mais aussi de sécurité alimentaire.
« Seul le paysan peut révolutionner l’agriculture parce qu’il vit de cela »
En effet, toutes les études montrent que jusqu’à présent, l’agriculture familiale demeure la première source d’emploi et le premier fournisseur de produits alimentaires au niveau mondial. Au Burkina Faso, malgré toute l’attention dont les investisseurs privés et les agrobusinessmen bénéficient, leur contribution à la production céréalière reste très peu perceptible. Les études réalisées par le Groupe de Recherche et d’Action sur le Foncier (GRAF), ont permis de comprendre que les rendements des agrobusinessmen n’étaient pas aussi satisfaisants, comparativement aux paysans qui occupent de petites superficies. La plupart du temps, ils finissent par jeter l’éponge. Toute chose qui fait dire au Dr Mahamadou Zongo que « L’agriculture n’est pas une activité de dimanche » pour dire que cela demande des qualifications et une connaissance du domaine. C’est pourquoi, soutient-il, seul le paysan peut révolutionner l’agriculture parce qu’il vit de cela.
Aussi dans un ouvrage collectif publié en 2014, les chercheurs du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), ont souligné que la lutte contre la pauvreté passe par un investissement conséquent dans l’agriculture familiale notamment en favorisant l’accès des paysans aux crédits et aux intrants.
Une autre point important à prendre en compte, est l’amélioration des conditions de vie des femmes. On ne peut pas effectivement parler de justice si l’autre moitié du ciel, principalement la femme rurale,croupit dans la misère alors qu’elle supporte plus de 60% de charges de travaux agricoles. En septembre dernier, à travers une campagne dénommée « Les femmes rurales, pour un Burkina sans faim », interpellaient les candidats aux élections pour qu’ils intègrent dans leur agenda, amélioration de leur condition de travail, à travers l’accès à la terre, au crédit, à l’encadrement, aux matériels de transformation. Sur les 14 candidats à la présidentielle, seulement deux ont daigné prendre part à la cérémonie solennelle de signature d’engagements des partis politiques. Beaucoup ont préféré se faire représenter. S’ils n’étaient pas de mauvaise foi, on devrait pouvoir retrouver dans leur programme politique quelques-unes des « dix mesures pour bâtir un Burkina sans faim » du manifeste des femmes rurales. Leur cri de cœur sera-t-il entendu par le politique ? En tous les cas, les femmes ont prévenu, elles sauront se défendre en temps opportun.
Enfin, il y a la question de l’accès des petits producteurs aux marchés. Or actuellement ce qui se dessine n’est guère reluisant. L’Accord de partenariat économique( APE), oblige les pays d’Afrique de l’Ouest dont le Burkina FASO à ouvrir ses marchés aux exportations européennes. Une grave menace plane sur l’agriculture familiale, la souveraineté alimentaire et la survie des petites unités de transformation locale, dans la mesure où il leur sera très difficile de faire concurrence avec les grandes industries européennes. Dans un contexte de libéralisation des échanges il revient aux autorités de protéger les plus vulnérables à travers des politiques agricoles efficaces en faveur des petits producteurs. En clair, promouvoir la justice alimentaire est du ressort de l’Etat. Car si les uns mangent et les autres regardent, il est certain que des révolutions naîtront toujours, comme le disait le président THomas Sankara.
Fatouma Sophie Ouattara