Longtemps considérée à tort et à travers comme une pratique dépassée, la médecine traditionnelle sort peu à peu de l’ombre pour occuper la place qu’elle mérite dans le système sanitaire burkinabè, grâce aux efforts d’encadrement de L’État. Du simple mal de tête aux problèmes digestifs et articulaires jusqu’aux fibromes, kystes, hépatites, cancers, ulcères, etc. elle rivalise avec la médecine moderne. Reportage sur une science ancestrale qui se modernise dans bien de domaines.
SAYE gélules (contre le paludisme et l’hépatite chronique), Sirop DUBA (contre la toux), DRAINO (contre le diabète), Potion KUNAN (un anti-asthénique ), S T O M A C A L ( contre les ulcères d’estomac),etc., ils sont de plus en plus nombreux les produits issus de la médecine et de la pharmacopée traditionnelles que l’on retrouve sur les étagères de nos pharmacies, au grand bonheur des malades. La reconnaissance du ministère de la santé et les prescriptions de certains médecins ont fini par convaincre les plus sceptiques.
A ce jour, 55 produits traditionnels ont été homologués par le ministère de la santé et disposent d’une autorisation de mise sur le marché. « Des médecins traditionnels ont pu obtenir des brevets de médicaments contre les ulcères, les hépatites A, B et C, la drépanocytose, etc. et ont l’autorisation de mise sur le marché», a confié le Directeur de la médecine et de la pharmacopée traditionnelles et des médecines alternatives, Dr Pascal Nadembega.

Ousmane Ouédraogo, le président de la Fédération nationale des tradi-praticiens de santé du Burkina (FENATRAB), a pu faire homologuer 5 produits sur 10 soumis à savoir : APALUCIDE contre le paludisme, TOUCIOL contre la toux, PRODYS contre les maux de ventre, STOMACAL contre les ulcères d’estomac et ANUTONIC contre les hémorroïdes internes et externes. Son rêve est de voir les produits traditionnels entrer dans le circuit de distribution de la CAMEG.
Selon le recensement de 2008 de la FENATRAB, le Burkina Faso compte plus de 33 000 tradi-praticiens et herboristes parmi lesquels 600 ont leur autorisation d’exercer. Cela donne une certaine crédibilité à ce secteur selon Dr Nadembega. « Aujourd’hui, un tradi-praticien peut référer un malade au centre de santé tout comme un médecin peut envoyer un patient chez le guérisseur traditionnel », fait-il savoir.
Avant de traiter un malade, Oumarou Soré, tradi-praticien, l’homme du « Tipzanga », spécialisé dans le traitement des hépatites, lui demande l’examen qui confirme l’hépatite. A l’issue des soins, un autre examen est demandé au patient pour un contrôle. « Pour l’hépatite B par exemple, certains ont un taux élevé de virus et d’autres non. La durée du traitement dépend du nombre de virus. Le traitement peut prendre un mois ou plus », explique Oumarou Soré.
Madina Tiemtoré doit sa santé à la médecine traditionnelle. « J’ai tenté de me soigner par la médecine moderne en vain. Je me suis alors tournée vers les guérisseurs traditionnels. Après quatre mois de traitement, je suis repartie faire le test de l’hépatite B et c’était négatif », témoigne la jeune dame.
La médecine traditionnelle est l’ensemble de savoirs, connaissances, pratiques, techniques de préparation et d’utilisation des substances végétales, animales et/ou minérales servant à diagnostiquer, prévenir et/ou éliminer un déséquilibre physique, mental ou social. En clair, il s’agit de toutes connaissances pharmaceutiques tirées de la nature pour traiter diverses maladies.
Le tandem chercheur-tradi-praticien, un «succes story »
Face à l’émergence des maladies métaboliques comme le diabète, l’hypertension, le cancer etc., la médecine traditionnelle est, selon Dr Noufou Ouédraogo, chercheur en pharmacologie à l’Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS), une piste intéressante à explorer. C’est ainsi que l’IRSS à travers son département « médecine et pharmacopée traditionnelles », travaille avec plusieurs tradi-praticiens en vue de mettre en évidence les principes actifs de différents produits. Cette recherche se fait au niveau botanique, toxicologique, pharmacologique et phytochimique avec une certaine garantie et sécurité du produit (absence de risque ou de danger). « Il y a d’abord la phase préclinique qui se fait sur l’animal ; si cette phase est concluante, on passe à la phase clinique chez l’homme », explique Dr Ouédraogo avant de préciser que la validation d’un produit issu de la médecine traditionnelle tient compte de sa qualité thérapeutique, hygiénique, toxicologique et de la sécurité.
Le FACA, produit de renommée internationale, est le fruit de cette collaboration entre chercheurs et médecins traditionnels. C’est à partir d’un traitement satisfaisant d’un tradi-praticien sur les drépanocytaires que le chercheur Innocent Guissou et son équipe vont expérimenter en laboratoire ce médicament jusqu’à obtenir son homologation et son autorisation de mise sur le marché. Malgré les progrès constatés, la modernisation de la médecine traditionnelle est au stade embryonnaire. Il reste encore beaucoup d’efforts à faire pour ce qui est de la fiabilité des produits traditionnels, de l’élaboration de normes et surtout de maîtrise de dosage des produits.
Pour le Dr Nadembega, « l’idéal serait que les tradi-praticiens arrivent à se spécialiser en pédiatrie ou en gynécologie ou encore en gastrologie, etc., au lieu de vouloir soigner tous les maux ».
Autres difficultés soulignées par Ousmane Ouédraogo président de la Fédération nationale des tradi-praticiens de santé du Burkina (FENATRAB) sont l’étiquetage, la conservation des produits, l’absence de machines de traitement pour moudre les écorces ou les feuilles, la raréfaction des matières premières et le manque de moyens financiers pour approfondir la recherche dans ce domaine.
Pour le chercheur Noufou Ouédraogo, il est de la responsabilité de l’État d’accompagner la médecine traditionnelle à émerger au regard d’énormes potentialités qu’elle regorge. D’où la nécessité de mettre selon Dr Nadembèga, un fonds d’appui à la médecine traditionnelle.
En attendant, des services d’interface sont créés dans le souci de croiser médecine traditionnelle et conventionnelle. Des services de médecine traditionnelle seront érigés, selon Dr Nadembèga, à l’intérieur des Centres hospitaliers régionaux (CHR). C’est déjà une réalité à Ouahigouya et à Tenkodogo. A Ouagadougou, un grand centre de médecine traditionnelle et de soins intégrés est en phase de finition. L’intérêt d’un tel centre est de pouvoir aider les tradi-praticiens à moderniser leurs produits en leur donnant une présentation plus attrayante et à concentrer le volume des produits de manière plus professionnelle.
Assétou Maïga