30 ans après sa disparition, le père de la Révolution burkinabè Thomas Sankara demeure toujours dans le cœur des burkinabè. Pour avoir été l’un des rares présidents africains à mettre la femme au cœur de sa politique, votre magazine Queen Mafa entend lui rendre hommage à travers une série de reportages et d’interviews.
Aujourd’hui nous vous proposons un témoignage de Béatrice Damiba, journaliste émérite. Pour avoir été l’une des femmes promues par le régime de Sankara, d’abord Haut-commissaire du Bazèga (1984 à 1985), puis ministre de l’Environnement et du Tourisme (1985 à 1989) l’on peut dire qu’elle sait de quoi elle parle…. Dans cet entretien, elle revient sur l’œuvre de Sankara en faveur des femmes.
Dans quelques jours, nous commémorons le 30e anniversaire de la disparition du président Thomas Sankara, quels souvenirs gardez-vous de l’homme ?
Béatrice DAMIBA: Un homme très engagé, qui ne reculait devant rien pour se faire entendre, pour faire aboutir et triompher ses idées. Un homme intègre et modeste, très proche de son peuple mais un peu idéaliste, par exemple quand il affirmait que « tout ce qui sort de l’imagination de l’homme est réalisable par l’homme ». Pas si sûr !
Un homme intègre et modeste, très proche de son peuple mais un peu idéaliste
Sankara était également un président engagé pour l’émancipation et les droits de la femme, comment comprenez-vous cette conviction du Capitaine ?
Cette conviction me semble naturelle et évidente pour le révolutionnaire qu’il était, attaché à l’égalité hommes / femmes dans une société où la femme était, et est toujours du reste, asservie. Il s’était placé en meneur de la lutte contre les pratiques néfastes à l’égard de la femme et pour l’éclosion de nouvelles mentalités grâce à des actions innovantes et inédites, voire choquantes.
Pouvez-vous revenir sur quelques actions concrètes réalisées par Sankara en faveur des femmes durant ses années au pouvoir?
Je me souviens par exemple de la nomination de plus de femmes au gouvernement (jusqu’à cinq ministres) et surtout à la tête de départements autres que ceux chargés de la femme ou du social, tels que les Finances, le Budget, le Commerce, l’Environnement; la nomination également de femmes, pour la première fois de notre histoire, à des postes de commandement comme chefs de circonscriptions territoriales (hauts commissaires des toutes nouvelles provinces) ; le recrutement de femmes dans l’armée et la police ; l’institution de la journée fériée le 8 mars marquant la journée internationale de la liberté de la femme et l’expérience de « l’homme au marché »; le rallye africain des femmes à moto ; le concert à Ouagadougou des stars africaines de la musique ; la prise en compte du droit de la femme à la propriété terrienne dans la réorganisation agraire et foncière etc.
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Quelles leçons peut-on tirer aujourd’hui de l’exemple de Sankara en matière de lutte pour les droits et l’émancipation de la femme ?
Les femmes burkinabè d’avant et d’après la Révolution sont différentes. Il y a de nombreux acquis qui sont : une plus grande implication des femmes en politique, la libération de la parole en public, la prise de conscience de la place et du rôle de la femme dans la société, les mutualisations plus nombreuses et diversifiées au sein d’associations, de groupements agricoles, de GIE, de coopératives, pour agir ensemble.
30 ans après sa disparition, croyez- vous à une justice pour Thomas Sankara ?
BD : Éprise de justice, je le souhaite pour lui comme pour tant d’autres avant lui et après lui. La justice pour tous en somme.
Entretien via mail réalisé par Lala Kabore/Dera