Ce 15 octobre 2025 marque le 38e anniversaire de la disparition de Thomas Sankara. Si l’homme est célébré comme un leader panafricaniste et un révolutionnaire intègre, une facette de son héritage mérite une attention particulière en ce jour de commémoration : son engagement profond en faveur de l’émancipation de la femme. En plaçant la libération de la femme au cœur même de son projet de société, Sankara s’est positionné comme l’un des plus grands féministes du 20ème siècle.
Dès son arrivée au pouvoir, Sankara ne se contente pas de discours. Il agit. Il décrète la Journée internationale des droits des femmes comme jour férié, encourage la scolarisation des filles, interdit les mutilations génitales féminines, et lance des campagnes contre les mariages forcés. « La révolution et la libération des femmes vont de pair. Nous ne pouvons pas réussir notre révolution sans l’émancipation des femmes » a-t-il déclaré.
Dans un contexte africain, à l’époque, fortement marqué par des structures patriarcales rigides, cette posture relève du courage politique. Ainsi, il va jusqu’ à dire que : « Celui qui exploite une femme est un exploiteur comme celui qui exploite un peuple. » Cette pensée, profondément intersectionnelle avant l’heure, relie les luttes anticoloniales, sociales et féministes dans une même dynamique de libération.
Une vision révolutionnaire de l’égalité
La vision féministe de Thomas Sankara est intrinsèquement liée à sa lutte anti-impérialiste et à son projet de société socialiste. Selon ce dernier, l’oppression des femmes était un pilier du système d’exploitation, tant au niveau national qu’international. Dans un de ses discours les plus célèbres, prononcé le 8 mars 1987 à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, il déclarait : « Il n’y a pas de révolution sociale véritable que lorsque la femme est libérée. »
Cette phrase emblématique résume à elle seule la pensée sankariste : la révolution ne pouvait se faire à moitié, en laissant de côté la moitié de la population. Sankara n’hésitait pas à dénoncer avec force le poids des traditions rétrogrades et du patriarcat qui maintenaient les femmes dans un état de subordination. Ainsi il a mis en garde les femmes contre un féminisme paternaliste et les incite à être les premières actrices de leur propre libération, à rejeter la complaisance et à mener leur propre lutte.
Des actes concrets
Ce qui distingue Sankara, c’est la mise en œuvre de politiques concrètes et audacieuses visant à améliorer la condition féminine. Son gouvernement a mené des actions au Bukina Faso.
Sankara a été l’un des premiers chefs d’État africains à interdire l’excision, les mariages forcés et l’expulsion des filles enceinte de l’école. Il a mené une campagne de sensibilisation nationale pour expliquer les dangers de ces pratiques et promouvoir le respect de l’intégrité physique et morale des femmes.
Conscient que l’éducation était la clé de l’émancipation, il a lancé des campagnes d’alphabétisation massive pour les femmes et a encouragé leur scolarisation. Des programmes de santé maternelle et infantile ont également été mis en place pour réduire la mortalité des femmes et des enfants.
En termes de participation politique et économique des femmes, Sankara a nommé des femmes à des postes ministériels et à des hautes fonctions de l’État, une rareté à l’époque. Il a encouragé leur participation aux Comités de Défense de la Révolution (CDR), les structures de base du pouvoir révolutionnaire. Des coopératives de femmes ont également été créées pour leur assurer une autonomie financière.
Un Héritage pour le Féminisme aujourd’hui
L’approche féministe de Thomas Sankara était unique car elle était indissociable de sa lutte anti-impérialiste. Pour lui, une société ne pouvait se prétendre libre si la moitié de sa population restait enchaînée. Il qualifie l’oppression féminine comme un « système d’esclavage » millénaire, né avec l’apparition de la propriété privée qui a entraîné la « grande défaite historique du sexe féminin ».
Sankara dans ses prises de parole n’hésite pas à confronter directement les hommes. Il dénonce leur hypocrisie, leur violence et leur sentiment de supériorité, déclarant : « Un homme, si opprimé soit-il, trouve un être à opprimer: sa femme » C’est pourquoi, il affirmait : « En chaque homme somnole un féodal, un phallocrate qu’il faut détruire »
En 2025, alors que les débats sur l’égalité des sexes continuent de façonner nos sociétés, le discours de Sankara reste encore d’actualité. Il nous rappelle que le combat féministe est universel, car « la condition de la femme est […] le nœud de toute la question humaine ». Son approche holistique, liant l’oppression de genre à l’exploitation de classe et à l’impérialisme, offre des outils puissants pour les militantes et militants d’aujourd’hui.
En ce 15 octobre, se souvenir de Thomas Sankara, c’est se souvenir d’un leader qui a compris et proclamé que l’humanité ne peut avancer qu’en marchant sur ses deux pieds : l’homme et la femme, libres et égaux.
