Dans un Burkina Faso meurtri par des années de violences terroristes, le théâtre se fait à nouveau la voix du peuple, un miroir tendu vers les blessures invisibles. Lors du colloque international sur les arts dramatiques, Karidia Agathe Sanon, chercheuse à l’Université Joseph Ki-Zerbo, a livré une réflexion sur la pièce « Les Pompiers de la paix », une œuvre qui explore la résilience sociale face au terrorisme.
Selon Karidia Agathe Sanon, cette création n’est pas qu’un spectacle : c’est une thérapie communautaire, un outil de cohésion et de reconstruction des liens brisés. « Le théâtre burkinabè, depuis toujours, défend une cause : celle d’un art au service de la société », a-t-elle rappelé.
Mise en scène par l’Atelier Théâtre Burkinabè et soutenue par le Fonds de développement culturel et touristique, « Les Pompiers de la paix » de Prosper Compaoré sillonne depuis 2018 les villages, lycées et collèges du pays. Chaque représentation devient un espace de parole où spectateurs et comédiens débattent, pleurent, rient et reconstruisent ensemble un sens commun à l’épreuve de la peur.
La pièce met en lumière la famille Bamba, victime de rumeurs et de stigmatisations liées aux soupçons de complicité avec des groupes armés. À travers ce drame intime, le théâtre dénonce la méfiance, la haine communautaire et les préjugés qui minent la cohésion sociale.
Mais, il ne s’agit pas seulement d’exposer les blessures. La force de cette œuvre réside dans sa dimension participative. Le public n’est pas un simple spectateur. Il est invité à intervenir, à dialoguer, à proposer des solutions. Ce dispositif inspiré du théâtre de l’opprimé d’Augusto Boal, abolit la barrière entre scène et salle. Le “quatrième mur” tombe, laissant place à une véritable thérapie sociale en plein air.
Résilience et émotions partagées
Pour Karidia Sanon, Les Pompiers de la paix est un exemple éloquent de théâtre d’intervention sociale, où l’émotion devient un moteur de transformation. Les échanges avec le public révèlent une intensité rare. Les représentations suscitent des larmes, des débats passionnés, des prises de conscience collectives.
L’émotion, a-t-elle dit, agit comme un déclencheur de parole. Elle transforme la douleur en dialogue, et le dialogue en guérison. Ainsi, la scène devient un lieu de réparation symbolique, où les traumatismes peuvent enfin être nommés, compris, partagés.
Lire aussi Dr Nongzanga Joséline Yaméogo met en lumière, la souveraineté culturelle du théâtre burkinabè
Un art enraciné dans le réel
Loin des plateaux occidentaux, la mise en scène privilégie le plein air, les places de village et les cours d’école. Ces espaces du quotidien deviennent les nouveaux théâtres du courage, où les corps, les voix et les émotions se mêlent au vent, à la poussière, à la vie.
L’humour, omniprésent, permet d’alléger la douleur sans la nier. Il humanise la tragédie, rendant la réflexion accessible à tous, à savoir élèves, paysans, commerçants, déplacés internes. L’esthétique est simple, directe et profondément humaine.
Au-delà de la fiction, « Les Pompiers de la paix » participe d’une pédagogie citoyenne. En abordant des thèmes tels que la stigmatisation, le chômage, l’excision ou la solidarité, la pièce invite à repenser la coexistence pacifique.
Pour Sanon, le théâtre devient un espace de mobilisation sociale, un miroir qui aide les communautés à se regarder et à se réinventer. Il transforme la scène en un lieu de renaissance collective, où la parole guérit autant que le jeu.
Dans un contexte où la peur menace d’éteindre l’espérance, le théâtre, lui, continue d’allumer des feux. Des feux de parole, de rires et de larmes. « Les Pompiers de la paix » ne sauvent pas des maisons. Ils sauvent des consciences.
Et dans chaque village où la troupe s’arrête, un peu de paix renaît.
Fabrice Sandwidi
Queenmafa.net





