Elles sont nombreuses, ces femmes qui nous ont quittés trop tôt en voulant donner la vie. Ils sont également nombreux, ces nouveau-nés qui ont perdu la vie en venant au monde. De part et d’autre, chaque situation est regrettable. Plus que des chiffres, c’est une interpellation face à une question d’urgence. Sauver la mère et le bébé pour une famille heureuse, pour une société épanouie ! D’où la nécessité d’éclairer et de sensibiliser le citoyen lamba sur les décès maternels et périnatals. Entretien avec Dr Ousséni Compaoré, gynécologue obstétricien, Chargé des opérations du Système de Gestion des Incidents pour l’Elimination des Décès maternels et périnatals évitables et Riposte (SGI-eDMPR) ! Il est en service à la Direction de la Qualité des Soins et de la Sécurité des patients (DQSS). Nous avons échangé avec lui, le mercredi 10 décembre 2025 à Ziniaré.
Dans le cadre de la deuxième session de debriefing et d’information des acteurs de médias sur les activités du Système de Gestion des Incidents (SGI), vous avez fait un exposé sur la mortalité maternelle et périnatale. Pourquoi avez-vous abordé ce thème ?
Ce thème est choisi en droite ligne des missions du SGI sous la direction de l’Incident Manager, le Professeur Adama Ouattara. Nous avons jugé bon de prendre langue avec les hommes et femmes de médias pour les briefer sur les missions du SGI parce que les hommes et femmes de médias constituent un puissant canal de communication à même de contribuer énormément à l’atteinte de nos objectifs.
Ça a été l’occasion de partager avec eux, un certain nombre d’informations sur l’ampleur du fléau que constituent les décès maternels, les mortinaissances et les décès néonatals surtout précoces. Ces trois jours d’échanges ont permis également de partager avec ces professionnels de l’information et de la communication, les causes, les facteurs favorisant la survenue de ces décès, les signes de dangers chez la femme enceinte, chez la femme en suites de couches et chez le nouveau-né.
Pour terminer, cette rencontre a été un cadre d’échange avec eux sur la riposte notamment dans son volet information et communication et à l’issue des trois jours d’activité, des propositions de stratégies et d’activités ont été recueillies pour booster notre lutte.
Qu’est-ce qu’il faut entendre par incident ?
En santé, un incident, c’est toute situation qui affecte la santé des populations avec des conséquences sur le bien-être. Un incident de santé nécessite alors, une réponse rapide et coordonnée afin de protéger la santé publique. Vous imaginez que lorsque Monsieur le Ministre de la santé a décidé que tout décès maternel, tout décès néonatal et tout cas de mortinaissance constituent un incident, cela veut dire qu’il s’agit d’un problème de santé publique. Cela a conduit à la nomination d’un Gestionnaire d’Incident que les anglosaxons appellent Incident Manager, en abrégé « IM ».
L’IM avec tout son staff a travaillé à la redynamisation des différents comités d’audits de décès maternels et périnatals à travers tout le pays. Ces comités d’audits, devant tout cas de décès maternel ou périnatal cherchera à voir, qu’est-ce qui a causé cet incident ? Qu’est-ce qui a milité en faveur de la survenue du décès et quelles sont les actions correctrices qu’il faille mener pour qu’un tel problème, pour que de tels incidents ne se répètent plus ?
Dr Compaoré, pouvez-vous revenir sur la définition de la mortalité maternelle ?
Ok. On se réfère toujours à l’OMS, l’instance supra-nationale au niveau des Nations Unies qui définit les normes en matière de santé. Ainsi, l’OMS définit le décès maternel, je cite : « Le décès d’une femme survenu pendant la grossesse ou dans les 42 jours suivant la fin de la grossesse, quelle qu’en soit la durée et la localisation, pour une cause liée à la grossesse ou aggravée par elle, et non pour des causes accidentelles ou fortuites ». Fin de citation.
Quelle que soit sa localisation, que la grossesse soit intra-utérine ou bien une grossesse extra-utérine ! Par ailleurs, il est dit que ce décès ne soit pas fortuit ou accidentel. Ce qui exclut du même coup, la femme enceinte qui perd la vie au cours d’un accident de la voie publique ou en chutant de la hauteur d’un arbre, par exemple.
« Les causes directes sont responsables de près de 80% des décès ».
Quelles sont les causes du décès maternel et néo-natal ?
Il faut dire que les décès maternels et néonatals sont dus à des causes directes qui sont évitables et ces causes sont responsables de près de 80% de ces décès.
Il s’agit essentiellement des hémorragies, des complications de l’hypertension artérielle au cours de la grossesse occasionnant ce que nous appelons Prééclampsie dont la sévérité peut conduire à l’éclampsie. Il y a également, les infections, les avortements à risque et le travail prolongé.
Pour ce qui est des nouveau-nés, le décès est essentiellement la prématurité, les infections néo-natales, les détresses respiratoires, la souffrance cérébrale du fœtus et du nouveau-né. Voilà des causes primaires !
Mais, au-delà de ces causes directes, il y a des causes indirectes. C’est-à-dire, des facteurs contributifs au décès maternels et périnatals, à savoir les trois retards.
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Quels sont ces trois retards ?
Le premier retard est le retard dans la décision d’aller rechercher des soins dans une formation sanitaire :
– Soit, parce que la femme et son entourage n’ont pas conscience du danger ;
– Soit, cela est dû au statut inférieur des femmes ! (C’est quelqu’un décide pour elle. Donc, même consciente du danger, il faut attendre le décideur).
– Soit, ce retard est en rapport avec les obstacles socio-culturels à la recherche de soins.
Le 2ème retard est le retard dans l’atteinte de la formation sanitaire en cas de nécessité d’évacuation.
Il s’agit essentiellement des obstacles de transport : mauvaise infrastructure routière, manque de moyens ou de frais de transport adéquat. Il faut ajouter ici, les problèmes de sécurité dans certaines localités. Fort heureusement, la dynamique est positive, ces derniers temps.
Le 3ème retard est le retard dans la réception des soins de qualité dans la formation sanitaire de référence.
– La non-disponibilité de personnel qualifié qui peut être due à une insuffisance en ressources humaines. Mais également, à une insuffisance dans l’organisation pratique de l’offre de soins. Est-ce que le personnel, bien qu’en nombre suffisant est géré convenablement de manière à assurer la continuité des soins et réduire sensiblement les délais d’attente ? A contrario, même si le personnel est compétent, si leur nombre est très réduit, fournir des soins de qualité posera problème.
– Le retard ici peut également être dû à une insuffisance de plateau technique (équipement, matériel technique et médico-technique, médicaments, consommables, …).
Donc, l’un dans l’autre, ça peut retarder la prise en charge d’une femme ou d’un nouveau-né qui s’est débattu et que la communauté et les formations sanitaires périphériques ont tout fait, pour qu’il ou elle parvienne à la formation sanitaire de référence. Et malheureusement, le temps est compté et le décès peut survenir.
« Pour les nouveau-nés, 18 décès pour 1000 naissances vivantes ».
Peut-on dire qu’il y a véritablement une amélioration en matière de statistiques ?
En matière de statistiques, on peut dire que l’amélioration est nette. Quand, on voit dans les années 90 où la mortalité maternelle atteignait 787 ; en 2010, le taux de décès maternel était de 330 décès pour 100000 naissances vivantes (NV).
Les données récentes notamment celles de l’EDS 2021 rapportent un taux de décès maternels de 198 décès pour 100 000 naissances vivantes. Pour les nouveau-nés, 18 décès pour 1000 naissances vivantes.
Alors, c’est vrai qu’il nous reste encore du boulot au regard des objectifs de développement durable de l’agenda 2030 qui vise moins de 70 décès maternels pour 100000 NV et 12 décès néonatals pour 1000 NV. On peut donc, dire que la dynamique est dans le bon sens et cela, nous le devons à beaucoup de stratégies mises en œuvre par l’état burkinabé.
Depuis le système de partage du coût jusqu’à la gratuité de la prise en charge des femmes enceintes et des enfants de moins de 5 ans en passant par la prise en charge sans prépaiement, honnêtement, beaucoup de choses ont été faites.
Ça a permis avec le renforcement du plateau technique, de diminuer de façon sensible, la mortalité maternelle et néonatale. Rappelons pour terminer qu’aucun décès n’est acceptable! Donc, le combat continue et doit redoubler d’intensité.
« II est risqué. Mais, pas interdit à une femme hypertendue de tomber enceinte ».
Pourquoi est-il risqué pour une femme souffrant d’hypertension artérielle de tomber enceinte ?
Il est risqué. Mais, pas interdit à une femme hypertendue de tomber enceinte ! C’est une grossesse à risque du fait de la possibilité d’aggravation de l’hypertension du fait de la grossesse avec comme complications possibles, la survenue de prééclampsie voir une éclampsie qui est caractérisée par la survenue de crises convulsives pouvant occasionner le décès de la femme, du fœtus ou des deux.
Je disais que ce n’est pas interdit à une femme hypertendue de tomber enceinte car il suffit d’une bonne surveillance de la grossesse, une surveillance qui sera multidisciplinaire avec l’intervention régulière et coordonnée du Gynécologue obstétricien (ou de la sage-femme/maïeuticien) et du cardiologue, parfois du néphrologue.
Tous ces acteurs accompagnent cette femme enceinte en vue d’une issue heureuse et une expérience positive de la grossesse.
Une grossesse peut-elle déclencher l’hypertension artérielle ?
Tout à fait, Mme ! Une femme qui n’est pas hypertendue peut développer une hypertension au cours de la grossesse avec les mêmes risques et les mêmes exigences que celle qui était hypertendue avant la grossesse. Vous voyez donc, que le suivi correct de la femme enceinte s’impose chez toute femme qui tombe enceinte sans présager de l’existence ou pas de tare.
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Qu’est-ce qui provoque les hémorragies chez la femme enceinte ?
Les causes des hémorragies chez la femme enceinte sont multiples et dépendent de l’âge de la grossesse :
– Au 1er trimestre de la grossesse, si la femme saigne, cela peut être dû à un avortement, à une grossesse extra-utérine ou bien à une maladie appelée grossesse môlaire. (En termes simple, c’est une grossesse anormale, non viable, qui nécessite une interruption médicale avec un suivi après l’évacuation de l’utérus pour éviter des conséquences graves).
– Aux 2ème et 3ème trimestres, un saignement d’origine génitale de la femme peut traduire :
- Soit, un placenta mal positionné que nous appelons placenta prævia.
- Soit, une formation de gros caillot de sang en rapport avec un placenta qui s’est décollé trop tôt, appelée hématome rétroplacentaire, rapidement mortel pour le fœtus et la mère.
- Soit, une rupture utérine survenant pendant le travail d’accouchement et qui menace rapidement la vie de la mère et du fœtus.
En somme, toute femme qui saigne au cours de la grossesse constitue une urgence et il faut se rendre rapidement à la formation sanitaire la plus proche.
« Nous insistons sur les signes de danger au cours de la grossesse ».
Y a-t-il un comportement particulier sur lequel, vous aimerez attirer l’attention de la population ?
Comme appel à l’endroit de la population, c’est de savoir qu’en matière de santé, l’État fait de son mieux pour créer les formations sanitaires, affecter le personnel et l’équipement qu’il faut.
Donc, ma principale recommandation est que les populations en général et les femmes enceintes en particulier, aient comme réflexe, le recours aux centres de santé. Devant toute situation d’urgence, le premier recours est d’aller vers les formations sanitaires.
C’est pourquoi, nous insistons sur les signes de danger au cours de la grossesse ou chez celle qui a accouché récemment ou chez le nouveau-né. Il y a un certain nombre de signes qui doivent constituer une alerte :
– Par exemple, la femme enceinte présentant des saignements vaginaux ou des douleurs abdominales aiguës ou des convulsions ou des maux de tête intenses ou une fièvre ou une respiration rapide ou difficile ;
– L’accouchée récente présentant des saignements importants ou une fièvre et faiblesse + mauvaise odeur venant du vagin + douleurs abdominales ou des céphalées intenses + troubles visuels avec ou pas de convulsions ou une respiration rapide ou difficile ou une douleur+ rougeur ou gonflement à l’une des jambes ou une certaine tristesse ou anxiété, isolement, pleurs, …pensées dangereuses.
– Quant au nouveau-né, les signes suivants doivent alerter et imposer un recours au centre de santé : un bébé qui a des difficultés d’alimentation (exemple, refus de téter) ou un bébé avec des convulsions ou un bébé qui manque de mobilité ou qui a une respiration rapide ou présentant un très faible poids à la naissance ou un bébé dont la température est supérieure à 37°5 C ou inférieure à 35°5 C.
Il faut immédiatement se rendre dans la formation sanitaire la plus proche. Ils vont vérifier et voir, ce qui doit être fait.
Le mot de la fin !
Le mot de la fin, c’est de vous remercier pour cette opportunité d’échanger à travers Queen Mafa avec la population sur la problématique des décès maternels et périnatals, d’échanger également sur la nouvelle orientation du Ministère de la santé dans lutte contre ce fléau en faisant de ces décès des « incidents » de santé.
C’est l’occasion pour moi de remercier au nom de l’Incident Manager et des autres collègues du SGI, les partenaires techniques et financiers en particulier, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui a permis que cette activité puisse se tenir. A noter que l’OMS nous avait déjà accompagnés dans la réalisation de la première session qui a eu lieu en Août dernier avec la présence effective du National Professional Officer SRHR/WHO/Burkina Faso.
Impossible pour moi de terminer sans profiter dire un grand merci à l’ensemble des hommes et femmes de médias qui ont répondu présents à cet atelier et surtout, de leur participation active. Donc, de votre participation active, en témoignent les productions très riches que nous allons ensemble capitaliser pour les besoins de la cause. Merci, une fois de plus, Madame.
Françoise Tougry/Queenmafa.net







